• Empreintes aléatoires

    Au coeur de ce projet, on perçoit cette fascination inquiète face à l’usure, à l’abandon, parcourant inlassablement mon travail depuis près de vingt ans.

    Les objets, particulièrement ceux avec lesquels on vit et que l’on ne voit plus parfois, ont des vies qui nous ressemblent. Ils nous accompagnent, vieillissent, nous encombrent, on s’en débarasse. Beaucoup sont détruits, d’autres sont entassés dans les caves et les greniers, d’autres encore sont donnés à des associations caritatives. Ce sont ces objets-là que j’ai photographiés pour cette série, à la brocante du Centre Social Protestant de la Renfile, dans les environs de Genève.

    Il s’agit d’un lieu un peu particulier, une vieille halle en tôle remplie d’objets sans valeur pour la plupart, dont on s’est débarassé en les déposant là. Des ramassages sont aussi organisés dans des maisons suite à des déménagements ou des décès. Tout cet attirail est alors mis en vente à prix modique, favorisant ainsi une clientèle aux revenus modestes.

    L’accumulation et la multitude de ces objets de toutes sortes m’ont toujours fasciné. Dans ce genre de brocante j’ai souvent rencontré des bibelots familiers, des ustensiles utilisés par mes parents lorsque j’étais enfant, des objets qui m’entouraient. Parmi cet entassement plus ou moins désordonné je retrouve ainsi des souvenirs. Il émane de cet enchevêtrement des effluves de naphtaline, des poussières d’appartements longtemps restés clos.

    Au fil de mes déambulations une certaine mélancolie finit toujours par me gagner face à cette multiplication de petits riens, plus ou moins encombrants, échoués là, attendant d’improbables preneurs… Où finiront ces objets en sursis, pourquoi en avoir produit tant ?

    Mon regard semble alors se perdre à travers ces accumulations et les « empreintes aléatoires » de ce fatras fixées par couches successives sur la pellicule sensible donnent forme et sens à mes sentiments.

    Anecdote intéressante, le bâtiment dans lequel j’ai réalisé ces images a été détruit récemment – marquant ainsi la fin de ma série – pour céder sa place à un grand magasin aux couleurs suédoises !

    Promesse certaine de nouvelles accumulations…

     

    Jean-Daniel Meyer